Vient de paraître aux éditions Arfuyen : « Passages des embellies, suivi de Thanks », de Jean Pierre Vidal
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Une lecture du PASSAGE DES EMBELLIES, suivi de Thanks par Marie Alloy :
Lorsque Paul de Roux qui fut l’ami de Jean Pierre Vidal écrit À la dérobée, ensemble de poèmes dont le titre du premier est « La fin de l’exil », il saisit des instants du monde, les offre à nos sens. Ils sont alors plus que des instantanés; ils tissent la profondeur du monde, en font un unique tissu de significations et de sensations. Le poète observe comment vivent les humains en fonction du lieu où il les découvre, où ils se découvrent tout à coup, sortis de leur exil au milieu de la vaste circulation du monde. Ainsi vus « à la dérobée », ils nous apparaissent comme faisant partie de la matière même de l’humanité ; leur singularité, effleurée puis reliée, en devient presque exemplaire, témoignage éphémère mais capable de faire résonner notre propre expérience du monde.
Lorsque Jean Pierre Vidal écrit Passage des embellies, ce sont des cartes à jouer qu’il sort du jeu de sa propre existence. Il nous les donne à connaître comme des éclats de vérité, reliant à son tour ces cartes qui sont des pages dans lesquelles il s’efface pour mieux nous donner à voir quelques territoires du réel. Ces lieux sont des embellies, des saisissements. Et leurs passages demeurent lorsqu’ils s’inscrivent dans la densité d’une écriture – ils prennent une valeur inattendue de permanence, de portée véridique. Ils appartiennent à nos silences, sont relevés de l’indicible, révélés. Ce n’est pas un hasard si l’auteur, qui est un exilé, se rattache à ces instants « purissimes » qui lui redonnent confiance et font lien avec la beauté native du monde. Il s’agit d’une certaine façon d’en recueillir la chaleur, de sortir de la répétition de « l’instant fatal »*1 de la séparation pour prendre des chemins non balisés, qui ne sont ni des conquêtes, ni des défaites, ni des victoires, mais des lieux infimes d’accomplissement, des petites fenêtres d’éternité.
L’exactitude recherchée par la mise en mots condense l’instant sans le fixer (ce qui serait le condamner). L’écriture de Jean Pierre Vidal nous donne à voir l’événement dans l’ordinaire, comme le tracé mouvant du dessin des nuages ou d’un corps de femme dans l’espace. L’embellie ne nous appartient pas puisqu’elle est instant de grâce.
Les cartes choisies pour ce livre sont des « pierres levées », des « leçons de verticalité »*2 dans la souplesse du vécu, ou la rudesse de ses interruptions. Cartes faites pour se redresser, telles ces pierres qui nous enseignent « que nous avons à tenir. » *3
En toutes choses, nous ne voyons que par le filtre de notre existence. Le passage des embellies nous permet d’emprunter une sorte de petite venelle, singulière dans la multiplicité des apparences, et d’y trouver un sens universel, un rayon de lumière hors du temps – « notre bien commun ».
Notre mémoire accumule des sommes d’images, souvent en désordre. C’est au poète qu’il revient de magnifier le fil précieux qui en retient quelques-unes, en fait des apparitions. Le désir de les partager rassemble les images dans une autre existence ; celle du livre est une façon de leur rendre hommage et d’habiter encore les êtres et les lieux perdus. Les cartes ne sont plus rejetées dans l’obscurité du souvenir mais rehaussées par leur lumière d’élection. L’embellie se poursuit qui n’aura rien dérobé au vivant, ne l’aura pas non plus exalté, mais, ici reçue par l’auteur de la plus belle façon, elle peut se transmettre et s’animer – se faire aimer.
Il y a dans cette façon d’envisager l’écriture quelque chose de la posture de vie d’André Dhôtel, une obéissance aux saisons inattendues de la rencontre, à La vie passagère et cela est d’autant plus vrai que ces deux poètes ont partagé le même sol, celui des Ardennes : « Il y a dans le même pays, plusieurs mondes véritablement. Si l’on explore les Ardennes, ce n’est pas une forêt que l’on découvre, mais mille forêts. », écrit Dhôtel dans Le pays où l’on n’arrive jamais.
La mise en retrait de Jean Pierre Vidal dans la contemplation et restitution de ce qu’il voit et vit, le souci de justesse de l’écriture fidèlement ancrée dans une réalité vécue, le refus d’une morale basée sur une idéologie dominante pleine de préjugés, refus lié à la quête d’un tout autre « perfectionnement moral », le goût de l’émerveillement tempéré par une lucidité de la pensée dans un effort d’équilibriste – et cela « sans jamais l’attitude qui ôte à la forme tant de sa pureté » *5 , voilà ce qui pourrait constituer les grandes lignes du portrait d’un auteur qui sait accueillir autant l’imperfection que la grâce : « C’est le désordre de l’amour qui fait du monde du figement ou de la manducation le lieu pur de la joie grave. » *6.
Passage des embellies est divisé en sept parties plus un long poème, sections qui se répondent où l’on croise des enfances, des mères, des femmes, des lieux désertiques non loin de la mer, des poètes et des peintres. Le « Chant biblique » est aussi celui qui accomplit ce livre par amour avec Thanks puisque « Seul nous sauve ce qui se donne entier » *7
Ainsi, quelque soient les situations évoquées où « s’unissent les très semblables/ou les parfaits étrangers » *8, elles nous font entendre la musique exacte d’une douce intransigeance où le cœur reste ouvert même dans l’obscurité.
Ainsi demeurent gravité et gratitude après Le passage des embellies.
© Marie Alloy, Beaugency, le 14 septembre 2020
*1 L’instant fatal, p 72 – ÉLANS, INTERRUPTIONS.
*2 Pierres levées, p 58 – MER ET DÉSERT.
*3 Pierres levées, p 57 – MER ET DÉSERT.
*4 La vie passagère . Poèmes d’André Dhôtel, Editions Phébus, 1978.
*5 Forme, p 49- LA BEAUTÉ DU PARCOURS.
*6 Deux gravures, p 101- CHANTS BIBLIQUES.
*7 Thanks, p 118.
*8 Thanks, p 117.
Le poème Thanks a fait l’objet d’une première édition sous forme de livres d’artiste au Silence qui roule en 2010 (voir rubrique livres d’artistes de Marie Alloy).
Livres de Jean Pierre Vidal