Un autre regard sur « THANKS », une autre version (unique),
pour Jean Pierre Vidal
« Consentir aux ténèbres »
La nécessité m’est apparue de réaliser une interprétation différente de « THANKS », en complétant celle réalisée en 2010, accompagnée de neuf gravures – un peu comme s’il lui manquait une liberté gestuelle pour plus de vie et de mystère. Une alternance de rythmes s’est imposée, conçue comme une lutte entre le clair et l’obscur, entre les aquarelles et les gravures mises en regard avec chaque temps du poème.
Le livre dévoile et protège en même temps son secret. Il donne à ressentir les mouvements et les instants d’une relation d’amour filtrés par l’épure du poème. Un vers m’a guidée : « Lumière se peint sur la matière des ténèbres ». C’est pourquoi la délicatesse exigeante de l’écriture se trouve au cœur des masses sombres de l’aquarelle. La peinture sombre éclaire, par contraste, l’ordonnance qui va s’apaisant, du poème, « rendant tous nos gestes à la nuit ».
Ce qui est peint de manière gestuelle et abstraite, avec des valeurs de gris allant jusqu’au noir, ne s’oppose pas aux figures féminines gravées, à leur posture de douceur. Il y a là une complémentarité active, permettant une circulation des regards entre les mots, leur sens, les images estampées, et les déclinaisons du noir et du blanc. Un lieu se crée dans le livre, une réciprocité d’influences qui fait rayonner, résonner, et aussi trembler le poème, pris entre des vagues obscures et des moments de pure plénitude.
Le passage des aquarelles aux gravures rehausse le poème. C’est un épanchement du clair vers l’ombre ou l’inverse, une respiration alternée. Un mouvement imprévisible se dégage alors du livre, ajoute au poème la réalité sensible et concrète des corps, celui de la jeune fille comme ceux des fruits qui « luisent d’une douceur surnaturelle ».
La lumière du livre se mesure à l’obscur, sa force à la légèreté, conquise comme par degrés successifs, jusqu’à l’issue du poème qui est tout amour, et qui remercie. C’est un poème de nudité spirituelle et de « profusion charnelle », une source de lumière née de nos « vies obscures ». Il s’agit toujours de « consentir aux ténèbres » pour atteindre « l’amande de la lumière une ».
Les lavis tentent de répondre à cet appel de l’obscur, pour faire sourdre la « lumière extrême » depuis cette musique de chambre où l’amour oscille parfois entre « bienveillance » et même, une part de « cruauté ».
Ainsi « THANKS » se charge d’un autre rayonnement qui complète la suggestion figurative des gravures et gagne en lumière, je l’espère.
Marie Alloy, novembre 2016