En couverture, une aquarelle de Marie Alloy
Extrait du Site Poezibao de Florence Trocmé
I.D de Claude Vercey n° 512 ( revue décharge) :
« Son cheval préféré s’appelle Extase » (G. B)
En 1975, Gérard Bayo publiait chez Guy Chambelland, sous une préface de Jean Malrieu, Un printemps difficile. Trente ans plus tard, sous le même titre, il présente une anthologie composée – apprend-t-on in fine, car le caractère anthologique de l’ouvrage ne saute pas aux yeux, hors l’affirmation de couverture – de poèmes extraits, après avoir été parfois remaniés, de nombre d’ouvrages antérieurs, et d’autres, inédits. Il apparaît cependant que la volonté de l’auteur est moins de proposer un florilège qu’un livre neuf, qui échappe aux considérations chronologiques.
Malgré tout, la composition de ce second Printemps intrigue, avec ses quatre chapitres qui renvoient explicitement à des livres anciens : Dicascalies 1 et 2, soit les deuxième et troisième chapitres, reprennent l’intégralité des ouvrages publiés en 1977 et 1985 sur les presses du Verbe et l’empreinte, de Marc Pessin ; tandis que les deux autres chapitres, en particulier le quatrième intitulé Un printemps difficile II, sont davantage composites, sans que l’homogénéité de l’ensemble soit atteinte. A l’arrivée, un livre magistral, impeccable.
Impeccable, je vous l’accorde, est le degré zéro de la critique. C’est pourtant le premier mot qui m’est venu, dûment noté en marge d’Un Printemps difficile en guise d’appréciation. Manière de marquer combien ce livre est, à proprement parler, désarmant, porte à se taire, en ce qu’il inspire à la fois l’admiration, la même suscitée naguère par La langue des signes, paru à ces mêmes éditions de L’herbe qui tremble (I.D n° 462), et la crainte que les mots du commentaire demeurent par trop en deçà des mots du poème. L’œuvre de Gérard Bayo est exigeante, échappe grandement me semble-t-il aux chemins battus de la tradition poétique française, pour aller se mesurer à celles ouvertes par Hölderlin ou Paul Celan. L’écriture est audacieuse dans sa rigueur, avec ces coupes et enjambements qui semblent vouloir mettre en valeur chaque mot, d’un vers bref le plus souvent, qui donne au poème une allure d’épure, dont l’équivalence plastique pourrait être certains arbres chez Nicolas de Staël.
Matamuertos
Ni fleurs
ni couronnes ni terre
ni noms
Ni
disparus
ni taches
de gravier au bord des routes
Victorieux le point
du jour brandit l’écu
des fils glorieux du mépris.
Les caractéristiques de l’écriture de Gérard Bayo sont dans un tel poème poussées à leur paroxysme : dépouillement, verticalité, et cette propension à nommer non ce qui est, mais ce qui n’est pas, ce qui pourrait être. Un art du silence et de l’ellipse, d’une réalité agrandie par la négativité, de l’anti-certitude.
Le téléphone
sonne dans le vide
sonne au premier
Sonne dans la maison déserte :
tu n’es pas là
Tu n’es pas mort.
La maison dans les feuilles ne répond pas.
Concision ne signifie pas sécheresse. Il se dégage de ces textes, si ramassés qu’ils soient sur l’instant qu’il s’agit de saisir dans sa fulgurance et son unicité, une puissance évocatrice et une troublante sensualité :
Pallaksch !
Tandis qu’une vache
ou la grand-mère crevait
dans le verger confit les enfants ont uni
leurs haleines bleues
l’aigle nain
du sourire d’Apollon
de cuivre et d’or
en fusion un voile joint
ses lèvres :
l’ange
de porcelaine assis
commence à uriner
dans sa culotte bleue
(Gérard Bayo : Un Printemps difficile)
* Pallaksch est « un mot d’une langue inventée, bégayée par Hölderlin dans sa tour à Tübingen ».
Repères : Gérard Bayo : Un Printemps difficile, anthologie poétique. Aquarelles de Marie Alloy. Editions L’herbe qui tremble ( 25 rue Pradier – 75019 – Paris). 218 p. 18€.
Sur ce livre, lire la critique de Jacques Morin dans Décharge 162 qui vient de paraître (juin 2014).
Du même auteur, aux mêmes éditions : La Langue des signes (voir l‘I.D n° 462).