A propos de :
Même la nuit, la nuit surtout de Pierre Dhainaut
par Isabelle Lévesque
Enfermée.
Longtemps fut tue – la nuit n’est plus.
Minuscule, entre « même » et « surtout », la nuit grandit avec le poème, guidée par la main du disparu qu’on cherche encore. Père nommé, comme si son ombre rejoignait enfin le poème qu’il parcourait toujours de l’écho des conques : « un père a contemplé son fils sans lui demander / de se souvenir. » Escale bousculée à l’initiale :
« Ta main s’est-elle, un soir, éloignée de la mienne ? »
Absence.
Le premier vers est coupé par l’incursion du temps, « un soir », celui de la séparation (l’inévitable) et l’espace rompu par le passé composé s’ouvre au poème. Pierre Dhainaut, dans ce livre d’artiste que traversent les gravures de Marie Alloy, recoud le temps ou la plaie. Le présent et le passé se mêlent pour que la perte devienne secours : plus de fracture.
Chant.
L’interrogation introduit l’appel (le rappel) de la source claire. Les trois premières sections (le poème du livre en compte sept) s’ouvrent sur la main : après l’éloignement, deux mains se retrouvent sous la lampe des nuits. Deux mots se regardent « Adieu » et « deuil », ils s’accomplissent et scellent l’écriture. C’est au voyage que cette main qui s’éloigne livre celui qui reste, l’enfant – même adulte. Peut-on alors encore partager le « même espace » ? La nuit répète la séparation : le poème, précisément sur cette faille, fonde la parole, « rien n’est clos ni opaque ».
La nuit, peut-être, paradoxalement, livre les « premières syllabes » du poème, laissant au souffle un espace où « vibrer ». « [A]lors les mains se pressent », souffle court d’une nuit nouvelle, fondatrice de l’aube.
Sur les lèvres sèches se lève le doigt du silence, le jour entonne le poème.
Isabelle Lévesque