Pour Erwann Rougé
le « bleu fou du ciel »
« L’ombrée » m’est apparue comme un lieu impossible, un espace d’approches, de tâtonnements, une zone intermédiaire entre le grain de la nuit et le bleu du ciel. Elle désigne l’ombre qui entre par les yeux et regagne une mer invisible. Elle est traversée verticale au fond de soi, un bandeau d’azur sur le regard et tout autant de peur, jusqu’à la sueur et l’effacement dans la fragilité de quelques mots, leur pudeur qui ne laisse que quelques traces sur une rive personnelle, peut-être impartageable.
L’ombrée préserve aussi une fraicheur, celle de l’air contre l’aigu du trait, de la peau dans la liberté du silence « des heures lentes », ou des « feuilles nues ». Elle naît de la lumière sur une écorce dans un bois et se jette dans le vide céleste. L’ombrée est un cri feutré. Advient un temps où la fêlure intime, sur les ardoises de l’absence, ne saigne plus que le « bleu fou du ciel » et devient « gramme d’une légèreté ».
« à ce moment-là /on croit que tout est perdu / la faible tissure des mots / est une première clarté »
Je n’ai rien eu d’autre à graver que cette oscillation entre le noir et le blanc, à peindre que ce vacillement entre la transparence bleutée et le gris d’une aube lacérée. La lumière, qui s’échappe avant de partir, nous plonge dans le silence. Pas de figures, pas de certitudes, un contact avec quelque chose qui palpite dans l’ombre et se frotte à la blancheur. C’est comme une dérive et une faille, ce bleu et ce noir qui s’opposent et s’épousent. L’empreinte dessinée devient frottage, un précipité de paysage.
Le reste se tait et s’ouvre à l’espace, peut-être à l’envol.
Marie Alloy, octobre-novembre 2016