« Terre à Ciel » : Cécile Guivarch à la rencontre de Marie Alloy

Un site à visiter, pour aller de découvertes et découvertes :Terre à Ciel

Entretien avec Marie Alloy par Cécile Guivarch

Pouvez vous nous parler de vous, de votre parcours ?

Je suis née en 1951 à Hénin-Beaumont dans le Pas-de-Calais. Une enfance et une adolescence dans le nord de la France, près de Douai, avec un intérêt très tôt marqué pour la peinture et la poésie. Puis des études artistiques du nord au sud : Beaux Arts de Lille, Marseille, université d’Aix en Provence et Paris. Je vis actuellement dans le Loiret, près d’Orléans où j’ai enseigné les arts plastiques avant de me consacrer pleinement à la peinture, la gravure et l’édition de livres d’artiste avec des poètes contemporains.

Vous dessinez, vous peignez, vous photographiez, vous réalisez des estampes… Y a-t-il un lien pour vous entre ces pratiques ?

Je me suis d’abord consacrée à la peinture, dès les années 70. Puis je me suis investie dans la gravure de façon plus intense dans les années 90, cette technique exigeante m’ayant permis de trouver une expression plus concentrée sur l’essentiel. Le livre d’artiste fut alors le moyen privilégié de faire vivre les gravures en dialogue avec des poèmes. Ces différents supports d’expression, qui me sont nécessaires, sont devenus interdépendants. Ils se renforcent et s’épaulent en échangeant leurs domaines. Finalement, ils ne forment plus aujourd’hui qu’un seul terrain d’exploration intérieure.
Quant à la photographie, pas un jour sans ! La nature foisonnante de la région retient le regard, y inscrit le dessin des arbres, des ronces, racines, étangs, champs, rives de Loire, y grave les jeux incessants de l’ombre et de la lumière. C’est là une imprégnation continue qui vient ressurgir sur les toiles ou les gravures. Je n’y échappe pas ! Ce que j’observe se photographie en moi et s’y grave, c’est pourquoi la notion d’empreinte est si importante dans mon travail. Mais ce qui s’imprime ne ressort pas de façon mimétique, c’est une sorte de retranscription graphique et picturale personnelle du monde perçu et reçu.

Vous aimez lire la poésie, mais écrivez-vous également ?

L’écriture, en particulier des notes d’atelier ou des textes sur des expositions marquantes, accompagne également mon parcours quotidien, alimenté par les lectures, littérature, art, esthétique…etc., où, oui, la poésie tient une grande place, avec un intérêt pour la découverte des auteurs contemporains et le besoin d’une pensée qui soit à la fois sensible, critique et documentée.

Sur votre site, on lit que vous avez développé une pratique poétique de la peinture, en quoi cela consiste-t-il ?

Je crois que ma peinture actuelle penche du côté de la poésie, un peu comme celle de Sima, Léon Zack, Vieira da Silva, Truphémus, par exemple, pour citer ceux sur lesquels j’écris en ce moment à propos de la lumière. Je cherche en peinture ou en gravure à établir une relation sensible avec le monde réel qui soit suggestive, allusive, non descriptive, et en même temps pas totalement abstraite, encore moins conceptuelle, donc plutôt située du côté de l’intériorité. Difficile d’en dire plus, tout n’est que tâtonnements, incertitudes, transformations continues. C’est une forme de recherche spirituelle où les mots, les poèmes, pensées, images, travaillent aussi au tableau. Je ne me sens pas exclusivement peintre. Je reste à l’écoute du monde de différentes façons pour donner du sens ou le retrouver, le faire émerger du magma d’informations qui nous submergent si nous ne faisons pas cet effort de création et de pensée pour les mettre en forme et leur redonner vie. C’est cela la poésie, je crois.

Poésie et peinture sont donc étroitement liées pour vous, et vous aimez travailler avec des poètes. Comment vivez-vous ces collaborations ?

Le travail avec les poètes est une manière d’entrer en dialogue avec l’Autre. Cela se passe dans l’échange de courriers puis le silence de l’atelier. C’est aussi une façon de confronter des voix, des regards, pour mettre en page estampes et poèmes dans une architecture du livre qui permettra de déployer au mieux le temps du regard et le temps de la lecture, afin qu’ils s’enrichissent mutuellement. C’est une expérience unique et imprévisible à chaque fois qui permet une véritable rencontre dans le livre. Le mot « collaboration » me semble inadéquat, le travail commun consiste surtout en une mise en résonance de l’un, poème, par l’autre, gravure, qui ne peut exister que dans cet espace. De plus certains poètes me laissent une totale liberté avec le poème qu’ils me confient, la « collaboration » dans ce cas, reste assez limitée, elle est confiance avant tout, puis découverte de ma proposition.

Vous avez créé une maison d’édition en 1993, Le Silence qui roule, comment en avez-vous eu l’idée ?

La gravure, technique permettant le multiple, est une fidèle du livre depuis les débuts de l’imprimerie. Aimer la poésie, créer des estampes, les mettre ensemble, est un mouvement à l’origine très naturel. J’ai donc commencé à réaliser quelques livres d’artiste à partir de 1992 et trouvé ce nom pour construire une petite structure d’édition nommée « Le Silence qui roule ». A ce jour j’ai réalisé 33 livres d’artistes dont je suis l’artiste accompagnant des poèmes inédits de poètes d’aujourd’hui avec qui je sens une affinité possible.
Le « Silence », est ce que je cherche à atteindre dans mes créations et livres pour ne pas tomber dans l’illustration ou l’anecdote, et le « qui roule » évoque le mouvement de la presse du graveur. Associer le silence et le roulement de la presse taille douce est une façon d’insister avec poésie sur le mouvement perpétuel de la création.

Comment naît un livre ?

Il naît à partir de ma demande d’un poème à un auteur dont l’écriture me parle et se construit dans l’atelier gravure. Il arrive également que des poètes me contactent pour être édités mais je ne peux leur garantir de pouvoir faire un travail d’accompagnement en peinture ou gravure, quel que soit d’ailleurs la qualité de leur poésie. Jusqu’à présent le poème était premier et je faisais le travail de mise en résonance par mes gravures. Je me mettais en quelque sorte au service et à l’écoute du poème.
Lorsque je me sens en accord profond avec un poète, le livre naît de manière fluide, comme par exemple avec Françoise Hàn. Mais j’éprouve actuellement le besoin d’affirmer davantage mon propre cheminement d’artiste et de demander au poète de faire cette recherche d’écriture en regard des estampes. Le livre ainsi suit les mouvements de la vie…

Avec Pierre Dhainaut par exemple, j’ai réalisé trois livres d’artiste ayant chacun un univers singulier, le rythme du poème et son sens me conduisant au choix technique, au format, et à une mise en page particulière. J’ai fait pour lui un livre presque carré avec des grandes gravures sur bois, un autre vertical, avec des aquarelles et une mise en page en triptyque et le dernier avec de longues aquatintes horizontales et le poème dans l’estampe.
Avec Jean Pierre Vidal et le livre « Thanks », ma recherche s’est réalisée à partir d’un dialogue continu avec l’auteur à qui j’ai montré les différentes étapes et épreuves gravées, pour atteindre une meilleure justesse dans les choix et orientations. C’est un enrichissement mutuel incontestable.

Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?

Honnêtement il n’y en a pas de meilleur. Tous les livres sont singuliers par leur approche, leur histoire, durée, difficultés et réussites. C’est toujours un bonheur de donner le meilleur de soi pour réaliser de tels livres. Sur certains livres j’ai vraiment souffert physiquement, car j’ai passé beaucoup de temps à tirer de très grandes gravures, des mois de tirages, mais après le montage du livre, le résultat est une belle récompense ainsi que l’accueil du poète. J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs fois Eugène Guillevic qui m’a fait l’honneur, la confiance et la joie de me confier des poèmes. J’ai pu ainsi réaliser deux livres avec lui : « L’éros souverain » et « Devant l’étang ». Ce fut une rencontre humaine très importante dans mon parcours. Elle s’est ensuite prolongée, après la disparition du poète, avec son épouse Lucie Albertini, devenue une amie.

Quels sont vos projets à venir ?

J’ai déjà quelques manuscrits de poèmes en attente, mais je ne programme pas « l’inspiration » ! Comme je peins, grave, écrit, tout autant, je réalise un ou deux livres d’artiste par an pas plus. Ils suivent donc mon chemin de création. Le budget de réalisation de tels livres me limite aussi. Je vise la qualité et non la quantité, et suis le seul maître d’œuvre à l’atelier !
A la fin de cette année, une exposition de mes peintures est prévue au musée des Beaux-Arts d’Orléans et dès janvier, au cabinet d’Arts graphiques de ce même musée, gravures et livres d’artiste récents.

Suite avec images sur le site Terre à Ciel !

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